Abus sexuels sur mineurs : la requête en révision du père Lefort rejetée
Le septuagénaire, condamné en 2005 pour des faits sur des garçons d’un foyer au Sénégal et en France, continue de clamer son innocence depuis la Haute-Loire où il est prêtre.
Par Geoffroy Tomasovitch avec J.P.-L
Le 29 septembre 2020 à 18h22
Deuxième tentative et deuxième échec. A 74 ans, François Lefort des Ylouses, prêtre et médecin condamné en 2005 à 8 ans d'emprisonnement pour abus sexuels sur six mineurs au Sénégal et en France, a vu sa requête en révision déclarée irrecevable, le 17 septembre. La commission d'instruction de la cour de révision et de réexamen a estimé que M. Lefort « n'établit aucun fait nouveau ni ne révèle aucun élément inconnu au jour du procès. » Une décision saluée par Me Olivier Morice, avocat de quatre parties civiles, mais qualifiée d'« hallucinante » par Me Philippe Sarda, conseil du prêtre qui envisage déjà une nouvelle requête malgré les rejets de celles déposées en 2011 et donc en 2016.
« Je suis innocent et je peux le prouver, donc je ne vais pas en rester là. A mon procès, un de mes accusateurs était un usurpateur », assure le père Lefort, joint lundi. Il s'apprête à envoyer une lettre au garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti sur « mon affaire et sur la justice française qui n'a reconnu que douze erreurs judiciaires en soixante-quinze ans ».
Le septuagénaire, curé d'une paroisse en Haute-Loire, a toujours nié les faits qui lui ont valu de passer « trois ans et neuf mois » en prison. Aujourd'hui, il a conscience que son combat « pour laver son honneur » n'intéresse plus grand monde. On est en effet bien loin de la médiatisation de son procès en 2005.
Des rétractations de victimes non recevables
Il faut dire que cet écrivain aux engagements humanitaires multiples - des bidonvilles de Nanterre aux enfants pauvres en Afrique en passant par une croisade contre la pédophilie - bénéficiait d'une certaine notoriété avant cette affaire. Le verdict de la cour d'assises des Hauts-de-Seine a consacré sa chute, amorcée par des accusations d'abus sexuel sur six jeunes Sénégalais de 12 et 15 ans alors hébergés dans un foyer pour enfants des rues, à Rufisque. Des faits survenus principalement en 1994 au Sénégal, mais aussi au domicile du religieux à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) ou dans des hôtels en province à l'occasion de conférences données par le père Lefort.
Rendu le 24 juin 2005, ce verdict a reconnu François Lefort des Ylouses coupable de viols et d'agressions sexuelles aggravées, de corruption de mineurs de 15 ans et tentative, et l'a condamné à 8 ans d'emprisonnement. Le prêtre médecin est tombé dans l'oubli, refaisant parler de lui en 2011 puis 2016 avec ses tentatives d'obtenir une révision.
A l'appui de sa dernière requête, le père Lefort et son conseil ont avancé deux arguments. Le premier porte sur les prétendues rétractations de trois des jeunes victimes qui seraient revenues spontanément sur leurs accusations. A la lumière d'un supplément d'information, la commission d'instruction a pourtant écarté cet argument. Elle estime que la rétractation d'Ibrahim D., obtenue sur sommation d'un huissier le 13 septembre 2015 au Sénégal, émanait d'un autre individu portant le même nom et rétribué par Kader L., autre partie civile ayant changé sa position.
Quant aux rétractions du même Kader L., décédé en 2018, et de Maguette D., la commission juge qu'elles « ne présentent aucun caractère spontané », soulignant qu'elles ont été obtenues à l'instigation de M. Lefort qui a par ailleurs versé aux deux victimes « des sommes d'argent substantielles pendant plusieurs années ».
Des moyens déloyaux pour obtenir la révision
Le prêtre ne nie pas avoir soutenu financièrement ces deux personnes. « Des virements de nom à nom, il n'y avait rien de caché. Kader était malade, j'ai payé ses soins », justifie entre autres le père Lefort, notant qu'il était aussi dans son intérêt que son « ex-accusateur » vive. « Ces deux personnes qui se sont rétractées n'ont pas été entendues dans le cadre du supplément d'information alors que c'était son principal objet, fustige de son côté Me Philippe Sarda. C'est hallucinant. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! » Remonté, son client ajoute avec une pointe d'ironie : « Je suis accusé d'un crime dont je n'ai plus d'accusateur. »
Le second argument du religieux et de son avocat n'a pas plus convaincu. Le père Lefort affirme détenir la preuve - tirée des registres des passages aux frontières - qu'il était en voyage en Mauritanie, les 5 et 6 septembre 1994, dates des abus sexuel sur une autre des victimes. La commission estime qu'« aucun élément péremptoire ne saurait être tiré de cette prétendue absence du foyer de Rufisque ». Elle ajoute que cet argument a déjà été invoqué dans la précédente requête et qu'il ne constitue pas un élément nouveau. Enfin, la commission rappelle que cette victime n'a donné aucune indication sur les dates des actes subis. « Là encore, c'est scandaleux. La date est dans le dossier », proteste Me Sarda.
Du côté des parties civiles, on a au contraire accueilli avec satisfaction la décision de la commission d'instruction. « Elle met en évidence les moyens déloyaux utilisés par M. Lefort pour obtenir la révision de son procès. C'est encore un échec cuisant et je m'étonne qu'il puisse toujours exercer en qualité de prêtre compte tenu des crimes pour lesquels il a été condamné sur des mineurs », commente Me Olivier Morice.
Questionné sur ce point, le prêtre nous indique qu'outre sa condamnation de 2005, il a seulement l'interdiction de s'occuper d'enfants, ce dont « il se garde bien » (NDLR : le père Lefort a toujours dénoncé une machination). Comprendre, en d'autres termes, que Rome ne l'a pas sanctionné.
Lina Lucas Lucas
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