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La Fac et les bidonvilles de Nanterre.

    Dans les années soixante, deux univers très différents se côtoyaient à Nanterre : la faculté et les bidonvilles ou les cités de transit. Il se trouve que j'étais l'un des rares à fréquenter les deux.

    Pendant trois ans, piètre étudiant en sciences économiques, il m'arrivait d'aller aux cours et aux travaux pratiques, ou d'y passer des examens. Cela m'a surtout permis de participer aux passionnants mouvements de mai 1968. Je précise qu'il ne me reste rien de ces études, puisque je me suis tourné par la suite vers celles de théologie, puis de médecines.

    En revanche, depuis 1961, j'allais presque quotidiennement traîner mes pieds dans la boue des bidonvilles et des cités de transit, qui étaient juste à côté depuis la fin des années cinquante.

    Comment ça s'est passé ? Le hasard ou le destin ont voulu que le 17 octobre 1961, un massacre d'Algériens s'est déroulé juste en bas de chez moi. Le sinistre préfet Papon, légalisant ainsi un apartheid à la française, avait décrété un couvre-feu pour une race : les Arabes. Pour protester, ils avaient manifesté pacifiquement, j'en suis témoin. Un cortège d'un millier d'Algériens avait été stoppé juste en bas de chez moi par un cordon de gardes mobiles. Un coup de feu avait déclenché la charge des forces de l'ordre. J'ai dans ma vie participé à de nombreuses manifs, mais jamais je n'ai vu une répression aussi violente, jamais ! J'en pleurais. Pour essayer d'en sauver le plus grand nombre, je suis descendu dans la cour de mon immeuble, et j'ai ouvert la lourde porte cochère. Une trentaine d'Algériens ont ainsi pu échapper à la répression. Ils m'ont raconté qu'ils venaient des bidonvilles de Nanterre juste de l'autre côté de la Seine.

    Le lendemain, Papon a déclaré qu'il y avait eu trois morts, dont un de crise cardiaque. Je savais que c'était faux puisque moi-même j'en avais vu six. Ce mensonge m'a amené à me rendre immédiatement dans le fameux bidonville de la Folie à Nanterre, ce qui a profondément changé le cours de ma vie de petit bourgeois. C'était encore la guerre d'Algérie, je me suis engagé dans les comités Maurice Audin. J'avais quinze ans. C'est ainsi que j'ai pu cacher chez moi une copie du film "octobre à Paris" que la télévision algérienne passe chaque année le 17 octobre. Ces activités, dont je me cachais à peine, m'ont valu d'être condamné à mort par la sinistre OAS.

    La guerre d'Algérie étant terminée, j'ai continué à me rendre régulièrement dans chacun des bidonvilles de Nanterre et de Gennevilliers. Avec des amis de mon âge, nous avons organisé, grâce au Secours Catholique, des sorties hors des bidonvilles dans des musées, des forêts, des théâtres, des colonies de vacances dont beaucoup se souviennent encore, nous avons constitué des équipes de foot qui se défendaient très bien... etc...

    Tout cela m'a beaucoup appris. Après avoir été tenté pendant plusieurs années par la religion musulmane, de fréquentes rencontres avec l'abbé Pierre, Mgr Rodhain le fondateur du Secours Catholique, le père Wresinski de l'association "Aide à toute détresse," j'ai retrouvé la foi chrétienne et lorsque j'ai été renvoyé de la fac de Nanterre après mai 1968, je suis entré au séminaire pour devenir prêtre dans le diocèse d'Alger, c'est logique puisque j'avais trouvé la foi en milieu musulman.

    J'ai donc été étudiant à la fac de Nanterre de 1965 à 1968. Pendant ces études, je me rendais régulièrement dans les bidonvilles et les cités de transit de Nanterre et Gennevilliers. Plusieurs étudiants venaient avec moi dans les bidonvilles et ça m'a permis de voir de beaux gestes de fraternité. Je me souviens par exemple qu'au début de la guerre des six jours, l'un d'entre eux : Jacques Tarnero, un juif qui deviendra un sociologue renommé, avant de partir s'engager dans l'armée israélienne, avait fait une collecte importante à la fac pour les enfants musulmans des bidonvilles. Chapeau !

    Sans réfléchir, d'autres étudiants avaient pris l'initiative d'ouvrir dans la fac une école alternative pour les enfants du bidonville de la République. Cette décision paternaliste s'est révélée être une catastrophe, car elle a durablement déscolarisé beaucoup de jeunes qui auraient pu s'en sortir en faisant de longue études comme beaucoup de leurs amis des autres bidonvilles qui sont devenus médecins, avocats, chef d'entreprise, hauts fonctionnaires...

    En 1982, je suis entré dans différents cabinets ministériels, j'étais chargé de détruire les bidonvilles et les cités de transit dans toute la France ; j'ai réussi au prix de grandes difficultés. A la demande des familles, pour casser les ghettos, nous les avons relogées dans toutes les villes avoisinantes, même bourgeoise, et ça a marché. Encore aujourd'hui, ces familles sont très bien vues dans les villes où elles habitent. Malheureusement, dès que j'ai démissionné en 1985, par facilité l'administration a choisi de créer de nouveaux ghettos que l'on appelle les cités difficiles. Il faut casser les ghettos !

    J'ai raconté tout cela dans des livres que l'on peut encore trouver dans les bonnes librairies ou sur mon site françoislefort.fr

- "du bidonville à l'expulsion" aux éditions CIEMM, avec de photos de celui qui allait devenir le célèbre Sebastiao Salgado. Réédité, malheureusement sans les photos, par "Chemins de tr@verse sous le titre : "l'enfant des bidonvilles."

- "La vie passionnément" aux éditions DDB, réédité par "Chemins de tr@verse" en 2021.

1 Commentaire(s)

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    Fernand Bendra

    22/03/2022

    François Lefort. Un Homme de bien comme il en existe plus merci à toi François pour tout.

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